Tribune : L’identité professionnelle, socle du sentiment d’appartenance au collectif

Bruno Mettling
Publié le 30 octobre 2024

L’appartenance : n’est-ce pas le défi majeur, pour la société française comme pour nos entreprises ? Appartenance à une communauté de destin, à l’heure où les crises internationales frappent de plein fouet notre pays et menacent la cohésion sociale. Appartenance à un collectif de travail, à l’heure d’une transformation radicale du pacte social sur lequel nos entreprises se sont construites jusqu’à maintenant. A une vie professionnelle passée tout entière dans une même organisation et à l’espoir de préparer, grâce au travail, une vie meilleure pour ses enfants s’est substituée, pour le salarié, la peur de la smicardisation et, pour l’employeur, l’exigence du maintien de l’employabilité.

Cohésion sociale, confiance dans les institutions comme dans son employeur, compétences : la question de l’identité au travail traverse toutes ces problématiques, et constitue une perspective fructueuse pour imaginer des solutions globales, qui cochent bien plus de cases que des mesures techniques qui échouent à prendre en compte toute la complexité du champ social. Comment s’y prendre ? En considérant les trois piliers fondamentaux de l’identité professionnelle et les solutions pragmatiques et concrètes pour les faire vivre.

Le sentiment d’utilité sociale, tout d’abord. En la matière, les acquis de la loi PACTE et les exigences RSE ont leur importance, mais prenons garde de ne pas lâcher la proie pour l’ombre. L’utilité sociale, c’est bien sûr un projet collectif qui transcende les intérêts particuliers. Mais le sentiment d’utilité sociale, c’est le projet collectif plus l’engagement personnel des collaborateurs et l’autonomie qu’on leur offre pour qu’ils puissent s’approprier le projet de l’entreprise.

La formation continue est, à cet égard, une piste qui mérite d’être plus et mieux exploitée. Prenons le cas du numérique et de l’IA générative, par exemple. Former les jeunes est essentiel, mais la formation initiale prend du temps et nos entreprises ont besoin de nouvelles compétences maintenant. Cibler les collaborateurs expérimentés et leur apporter la brique de formation continue évitant que leurs compétences ne deviennent obsolètes : c’est un investissement gagnant-gagnant, surtout lorsqu’il est accompagné d’un programme de mobilité interne et de développement de carrière ! Cela donne aux collaborateurs les connaissances et la motivation nécessaires pour être aux avant-postes des mutations technologiques.

La cohérence éthique, ensuite. L’alignement entre les valeurs personnelles et celles de l’entreprise est essentiel. C’est un sujet épineux j’en conviens ! La neutralité de l’entreprise la préserve des fractures et des conflits du dehors. Mais, inversement, l’expression de visions du monde différentes est nécessaire pour poser un diagnostic objectif et construire un compromis. Là encore, je pense qu’il faut revenir aux fondamentaux : la véritable alchimie entre les valeurs de l’entreprise et celles de nos collaborateurs ne se décrète pas, elle se forge dans le creuset du dialogue social. Celui-ci, pour être efficace, doit s’inscrire dans une démarche de long terme et se traduire par des actions concrètes et un suivi rigoureux. Les baromètres sociaux sont essentiels pour suivre la perception que les salariés ont des actions mises en place et de la réalité du dialogue social dans leur entreprise.

L’accomplissement personnel, enfin. Les nouvelles générations ont des attentes élevées en termes d’épanouissement professionnel, et ont ainsi beaucoup à nous apprendre sur le sujet. Le cinquième volet de l’European Values Studies, réalisé entre 2017 et 2020, nous apprend qu’il y a peu de différences entre les jeunes générations et les générations suivantes concernant la valorisation du travail[1]. Les Français de 18-29 ans sont ainsi un peu plus de 55 % à juger le travail très important dans la vie, un niveau quasiment équivalent à celui des 45-59 ans. En revanche, les jeunes sont beaucoup plus exigeants, tant sur le plan matériel (rémunération, durée de travail) que sur celui de l’existence au travail : les Français de 18-29 ans veulent pouvoir prendre des initiatives, avoir des responsabilités et attendent du travail qu’il leur donne l’impression de réussir quelque chose. Dans leur cas, l’indice d’attentes qualitatives est supérieur à 75 (sur une base 100), alors qu’il ne dépasse pas 67 pour les générations suivantes.

Comment conjuguer ces aspirations avec le maintien d’un cadre collectif ?

En ne confondant pas collectif et uniforme, hiérarchie descendante et cohérence. Imaginer un cadre équitable, par exemple autour de 7-8 profils, avec pour chacun des temps de travail et un mode de rémunération spécifique, paraît une évidence quand on se penche sur la réalité des parcours professionnels. Un collaborateur sénior, propriétaire, dont les enfants ont quitté la maison et qui commence à sentir la fatigue de l’âge est en droit d’attendre de son entreprise un cadre différent de celui d’un jeune qui entre dans la vie active ou d’un aidant. Nous avons la chance d’avoir un Code du travail qui offre aujourd’hui un cadre sécurisant tout en rendant possibles des réponses différenciées selon les situations. Aux entreprises d’imaginer des accords en phase avec l’individualisation croissante des demandes des salariés, aux partenaires sociaux d’accepter que ce qu’ils négocient puisse ne pas se décliner de manière uniforme.

L’entreprise n’est pas simplement un acteur économique, elle est un puissant vecteur de transformation sociale. Nous, dirigeants et entrepreneurs, avons entre nos mains un levier formidable pour façonner une société plus épanouie et plus juste. Osons reconnaître cette responsabilité : des identités au travail heureuses sont un gage de stabilité et de cohésion sociale et, plus encore, le fondement d’une société plus innovante et plus résiliente.

 

[1] Pierre Bréchon, « Sens du travail. Une rupture générationnelle ? », Revue Projet, n° 399, avril-mai 2024, p. 27-31.

Bruno Mettling
Publié le 30 octobre 2024